27/11/2025

Fragilité des jeunes : et si le problème venait de nous ?

Pourquoi tant de jeunes peinent à affronter le réel ? Comment l’éducation positive mal dosée a fragilisé une génération et comment réintroduire la solidité.

Écrit par Jean-Paul Lugan, psychologue, coach, préparateur mental et auteur — 26-11-2025

Les chiffres parlent avant les opinions : en 2024, 44 % des moins de 30 ans ont connu au moins un arrêt maladie, et chez eux, la santé mentale représente 35 % des motifs d’arrêt (Malakoff Humanis). Dans le même temps, la DARES montre que 1 jeune salarié en CDI sur 2 quitte son entreprise avant un an, avec un taux de démission (4,2 %) nettement supérieur au reste de la population active. Ajoutons que près de 40 % des 18-34 ans se déclarent en détresse psychologique (Santé Publique France). Non pas une génération incapable, mais une génération mal équipée pour encaisser la contrainte, l’effort, la frustration, la durée — pourtant indispensables à la vie active. Quelles en sont les causes ? Comment avons-nous pu fabriquer une génération de gens fragiles ?

L’éducation positive mal interprétée : fabriquer sans le vouloir de la souffrance

Dans l’intention, l’éducation positive est un bijou : respect de l’enfant, empathie, écoute. Dans la pratique — surtout dans les années 80, 90, 2000 — elle a été interprétée comme : « ne frustre jamais ton enfant, il pourrait souffrir ». Résultat : les enfants ont évité la souffrance constructive… celle qui muscle la tolérance au réel. Et sans cette exposition progressive, la première contrariété professionnelle devient une avalanche émotionnelle.

Quand éviter la difficulté crée la difficulté

Un enfant à qui l’on épargne l’effort n’apprend jamais qu’il peut le traverser. Plus tard, face à un client exigeant, un manager maladroit, une deadline serrée, la difficulté n’est pas perçue comme un défi… mais comme une injustice. Le moindre obstacle semble alors insurmontable, générant anxiété, retrait, arrêts maladie, démission fulgurante. On n’a pas fabriqué des incapables : on a fabriqué des jeunes non entraînés.

Il apparaît désormais clairement que cette éducation dite « positive » s’est construite autour de trois grands principes, devenus au fil du temps de véritables messages parentaux adressés à leurs enfants.

« Sois toi-même » : le piège identitaire moderne

Ce message semble merveilleux — inspirant, libérateur, presque taillé pour Instagram.
Mais la construction identitaire exige du temps, des essais, des erreurs, et beaucoup de frottements sociaux. Avant d’atteindre l’âge de raison, un enfant doit progressivement se forger un genre, une éthique, un style de comportements, éprouvés au contact du réel.

Dire à un enfant « sois toi-même » alors qu’il n’a ni recul ni capacité de raisonnement, c’est lui confier une mission impossible. Arrivé dans l’entreprise, il a bâti une identité qui ne correspond pas toujours aux codes et aux attentes du monde professionnel. Certains en arrivent même à refuser un emploi avant même de postuler, simplement parce qu’on leur demanderait d’enlever un piercing au nez ou de s’habiller correctement.

Incapable de s’ajuster à ces normes, il se sent rapidement en décalage — et donc en souffrance.

« Fais-toi plaisir » : excellent pour le goûter, catastrophique pour la santé mentale

Grandir, c’est aussi apprendre que tout n’est pas agréable : ranger, écouter, patienter, recommencer, respecter.
Mais beaucoup de parents, face à la moindre démotivation — comme un enfant qui rechigne à ranger sa chambre — répondaient : « Laisse, fais-toi plaisir, je vais le faire ».

À force d’entendre que le plaisir doit guider chaque décision, l’effort devient suspect, la contrainte devient toxique, la frustration devient insupportable.

Or le monde du travail repose — surprise — sur l’engagement, l’endurance, la coopération… pas sur l’instantané gratifiant.

« Vite fait » : l’apprentissage express qui ne forme personne

Vite fait ta chambre.
Vite fait tes devoirs.
Vite fait dire bonjour à Mamie.

Ce « vite fait » parental a installé une relation superficielle aux tâches, aux autres, au temps. L’objectif n’était plus de bien faire, mais simplement de faire le minimum pour que ça passe.
Pas d’ancrage, pas de persévérance, pas de responsabilité durable.

En entreprise, cela se traduit par une intolérance à la durée… et donc des départs « vite faits ».

Quand la santé mentale encaisse la facture éducative

Les dérives de cette éducation « positive » reposent sur trois ressorts majeurs : la volonté, sincère mais naïve, de préserver l’enfant de tout inconfort ; le manque de courage éducatif pour poser des limites ; et l’épuisement parental qui empêche de maintenir un cadre pourtant essentiel.

À force de gérer leurs enfants uniquement à partir de ce qu’ils étaient dans l’instant — leurs envies, leur absence d’énergie, leurs émotions du moment — les parents n’ont pas vu qu’ils contribuaient à les fragiliser.

Cette éducation positive n’a pas simplement rendu les jeunes faibles : elle les a rendus handicapés dans la vie. En les tenant à distance des épreuves nécessaires à la construction de la résilience, elle les a privés des outils psychiques fondamentaux pour affronter la frustration, accepter les obstacles, maîtriser l’impatience et stabiliser leur monde émotionnel.

Face au réel professionnel — hiérarchie, contraintes, rythme, normes — la santé mentale se tend, puis craque.
Absentéisme, anxiété, repli, ruptures précoces : ce sont des symptômes, pas des caprices.

Conclusion : réapprendre la solidité

Parents, enseignants, entreprises, institutions : tout le monde peut réintroduire l’entraînement au réel. Refaire de la règle un contenant, de la frustration un apprentissage, de l’effort une compétence, de la responsabilité une fierté. Et si, pour les dernières générations, il est encore possible de rattraper le coup, pour d’autres — et notamment certains enfants — cela devient nettement plus difficile : les fondations manquent, et l’entraînement aurait dû commencer bien plus tôt.

L’une des illustrations les plus parlantes est l’étude dite du marshmallow test. On proposait à des enfants une friandise immédiate ou une récompense plus importante s’ils attendaient quinze minutes. Les premiers résultats montraient que, quelques années plus tard, ceux qui avaient su résister à la tentation obtenaient de meilleurs résultats scolaires, une meilleure stabilité émotionnelle, et une insertion sociale plus fluide.

Cette étude est éclairante : en l’absence d’une éducation solide et structurante, une différence nette se crée à l’âge adulte entre celui qui a appris à supporter la frustration et celui qui n’y a jamais été entraîné.

Parce qu’un jeune exposé progressivement à l’épreuve devient un adulte libre, stable, résilient — et bien moins en difficulté face au monde du travail.

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